« La souveraineté numérique est un enjeu géopolitique »
Ingénieur diplômé de l’École Centrale, Yannick Yamdjeu a débuté sa carrière comme data scientist chez Rotschild avant de devenir manager en intelligence artificielle et finance dans le conseil aux banques et assurances pour Deloitte et Accenture. Aujourd’hui entrepreneur, il revient sur les enjeux de la souveraineté des données et du déploiement des data centers sur le continent.
Pourquoi la souveraineté des données est-elle un prérequis fondamental de la 4e révolution industrielle ?
La 4e révolution industrielle résulte de la combinaison du Big data, de l’Internet des objets, de la Blockchain, de la robotique, de l’impression 3D, des nanotechnologies, etc. Dans ce cadre, l’explosion du volume de données est susceptible de fragiliser la souveraineté numérique. Il faut être vigilant, car cette dernière implique la gouvernance des données et l’indépendance technologique, alors que le marché des data est actuellement dominé par les GAFAM et les géants chinois. Le fait que les fournisseurs de solutions (Cloud, serveurs) de la plupart des pays se trouvent aux USA soulève des questions, notamment pendant la période de confinement, où le recours aux applications de télétravail et au e-commerce a explosé et où les cyberattaques ont fortement augmenté.
Qu’est-ce qui freine la souveraineté numérique en Afrique ? Où en est le déploiement des data centers sur le continent ?
La souveraineté numérique est un enjeu géopolitique pour chaque nation. Chacune essaie de mettre en place des politiques pour gagner en souveraineté, mais l’Afrique est encore globalement absente de ces problématiques. Sur fond de cyberespionnage, il est impératif de poser rapidement le cadre, faute de quoi les États africains resteront dépendants des fournisseurs de solutions numériques étrangers. Pour sortir de ce néocolonialisme numérique, les États doivent investir dans des data centers sur leur territoire et mettre en place des centres de formation pour développeurs, cet écosystème numérique ayant besoin de talents humains. Construire un data center requiert un investissement massif et des compétences multiples, d’où l’importance pour les États et les opérateurs télécom de joindre leurs forces au sein d’un partenariat public-privé. Parmi les initiatives existantes figurent le plus grand data center d’Afrique centrale et occidentale à Makepé, au Cameroun, les trois data centers du Sénégal et les trente data centers d’Afrique du Sud, qui représentent à eux seuls deux tiers des data centers que compte le continent.
Où en sont les États africains dans l’exploitation des données pour réduire les menaces numériques ?
De nombreux États africains se sont lancés dans la guerre du cyberespace, à l’instar du Maroc, avec sa stratégie de cybersécurité depuis une dizaine d’années, et du Sénégal, qui a mis en place un centre national de cybersécurité et un laboratoire contre la cybercriminalité qui dépend de la police nationale, en coopération avec les Pays-Bas et la France. Sur le plan régional, quelques initiatives émergent, comme le rapprochement entre la CEDEAO et le Conseil de l’Europe ou entre les États de l’East African Community et l’ONU. Le Gabon et le Maroc ont aussi mis en place des programmes de coopération.
Quel rôle peut jouer l’analyse des données en temps réel dans la prise de décision ?
Nous vivons dans une société d’instantanéité, où la mémoire tient une place de plus en plus restreinte. Les solutions qui permettent des analyses en « temps réel » détrônent les outils qui n’exploitent que des données archivées. Ces solutions permettent de faire des requêtes plus rapides, ce qui simplifie et accélère les prises de décision. Cependant, il ne faut pas faire de confusion entre les données en « temps réel » et l’« instantanéité » de la décision liée. La notion de « temps réel » concerne la mise à disposition de l’information, pas la prise de décision qui en découle.
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