L’identification, socle des nations numériques
Sur les 7,7 milliards de personnes que compte la planète, 3,4 milliards sont dotées d’une forme d’identité biométrique et numérique et 3,3 milliards disposent d’une identité non biométrique. Sur lemilliard de personnes restant dépourvues de toute forme d’existence officielle, la moitié réside en Afrique, où quelque 500 millions de citoyens sont ainsi exclus de l’économie réelle. Ces données du Forum Économique Mondial mettent en lumière le frein majeur à la transition numérique du continent que constitue l’insuffisante maîtrise de l’identité numérique des populations. De fait, le préalable indispensable à la numérisation des nations consiste à donner à chaque citoyen, institution, entreprise et gouvernement la possibilité de contribuer activement à l’économie numérique et à favoriser les interactions sociales axées sur le numérique.
La Banque mondiale ne s’y est pas trompée en érigeant dans son programme de développement post-2015 l’identité numérique en levier de croissance visant à « promouvoir des sociétés pacifiques et inclusives pour un développement durable, à fournir un accès à la justice pour tous et à mettre en place des institutions efficaces, responsables et inclusives à tous les niveaux ». L’occasion de fixer comme objectif de « fournir une identité légale à tous […] d’ici 2030 », le meilleur moyen d’y parvenir étant de recourir à des systèmes d’identité numérique, des registres centraux stockant les données personnelles sous forme numérique et des justificatifs d’identité reposant sur des mécanismes numériques plutôt que physiques.
Le groupe de travail a établi une stratégie continentale pour compléter les initiatives existantes en matière de renforcement des systèmes d’identité publiques, afin de développer des stratégies d’identification souples et innovantes – et ainsi atteindre une plus grande partie de la population. Sous la supervision du Bénin, le groupe de travail de Smart Africa a proposé de mettre en place un cadre fédéré pour la reconnaissance des informations d’identification entre différents fournisseurs d’identité et de services. Ce cadre, qui doit prendre la forme d’une Smart Africa Trust Alliance (SATA), simplifiera l’accès aux services et l’expérience des utilisateurs. Il devrait par exemple permettre à un jeune Africain vivant dans un milieu rural d’accéder à un nouveau service en ligne en s’authentifiant à travers son compte Mobile Money sans avoir à passer par une nouvelle procédure d’identification.
A son échelle, GVG a placé l’identification numérique, garante de la fiabilité des échanges, au cœur de ses solutions d’audit numérique destinées aux gouvernements, aux autorités de régulation et aux banques centrales. L’approche de GVG consiste à assister ces autorités dans la consolidation et le nettoyage des bases de données d’enregistrement des cartes SIM des différents opérateurs téléphoniques afin de constituer un registre national d’identification des abonnés, qui relie chaque carte SIM enregistrée à un utilisateur unique. Ceci constitue une étape essentielle vers l’identification numérique de la population africaine. Vu le taux de pénétration de la téléphonie mobile en Afrique, ce canal garantit une base solide d’identification de la population.
En plus de simplifier et d’accélérer les procédures administratives, l’identification numérique permettra aux États d’élargir la base de la population imposable, contribuant à la formalisation de l’économie et à faire revenir dans le giron de l’État une part importante des recettes qui échappent à l’économie des pays africains et ce, de façon plus équitable. Une étude réalisée par McKinsey Global Institute portant sur sept pays (dont le Nigeria et l’Éthiopie) a ainsi démontré que les programmes d’identité numérique pourront permettre d’y débloquer des montants compris entre 3 et 13% du PIB en 2030.
Au niveau des politiques publiques, la mise en place et la généralisation des identités numériques permettra par ailleurs de s’assurer que les personnes éligibles à des prestations les reçoivent et de limiter les pertes pour les programmes d’aides sociales dues aux doublons, aux bénéficiaires « fantômes » et à la corruption. En témoignent les 25% d’économies réalisées au Botswana grâce à l’enregistrement biométrique des pensions et des allocations sociales ou encore la suppression de 62 000 travailleurs fantômes au Nigeria grâce à la mise en place d’un système d’identification numérique des fonctionnaires. Notons aussi que sur le plan politique, la généralisation des identités numériques serait le meilleur moyen de compléter et de rendre plus transparents les fichiers électoraux des pays africains, et ainsi de lutter contre les litiges qui défraient régulièrement la chronique en période électorale.
Par Didier Nkurikiyimfura, Directeur Technologie et Innovation de l’Alliance Smart Africa & Laurent Sarr, Directeur technique de Global Voice Group