Par Abigail Gérard
Avec 4 000 participants au sommet Transform Africa, la mutation technologique, désormais bien engagée, est essentielle pour l’avenir du continent.
Un outil pour plus de transparence
Avec un projet sur quinze ans à hauteur de 1,5 milliard de dollars, le Ghana s’est imposé comme le modèle continental en matière de digitalisation des services de l’Etat. « En plus d’élever le niveau de formation des agents et d’améliorer l’efficacité des procédures, cette mutation renforce la confiance des citoyens dans leurs institutions, de plus en plus transparentes et actives dans la lutte contre la corruption », explique la très dynamique ministre ghanéenne de la Communication, Ursula Owusu-Ekuful. « Ce qui nous manque aujourd’hui, ce sont de jeunes développeurs et analystes, et c’est ce sur quoi nous voulons mettre l’accent au Ghana », poursuit-elle, en citant les incubateurs qui fleurissent dans la capitale depuis quelques années. James Gabriel Claude, CEO de Global Voice Group – l’entreprise qui a accompagné le gouvernement ghanéen dans sa mutation digitale – est confiant : « Le continent a fait un bon énorme et tellement rapide en si peu de temps. Certains gouvernements fonctionnaient encore uniquement au papier avant d’enclencher la transformation de leurs services. »
Un écosystème attractif pour les Gafam
Les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) commencent à placer leurs billes sur le continent. En avril 2019, Google a implanté à Accra son premier centre de recherche en intelligence artificielle. Avec une communauté de 140 millions d’utilisateurs en Afrique, Facebook a, de son côté, choisi de miser sur l’amélioration de la connectivité en installant plus de 800 kilomètres de fibre dans le nord de l’Ouganda, et un projet similaire est à venir au Nigeria en plus des programmes de formation d’entrepreneurs.
Aïda Ndiaye, responsable affaires publiques en Afrique francophone chez Facebook, croit beaucoup en la Yabacon Valley, un centre qui regroupe des développeurs et des incubateurs de start-up à Lagos. La firme de Mark Zuckerberg est par ailleurs membre du comité de pilotage de Smart Africa, le réseau pour l’harmonisation de la transformation numérique du continent, et organisateur du sommet. Mais le directeur général de Smart Africa, Lacina Koné, reconnaît qu’il reste beaucoup d’efforts à faire pour que l’Afrique devienne un enjeu pour les Gafam. Et avant d’y parvenir, les gouvernements doivent s’organiser. James Gabriel Claude de GVG le rappelle : « Si Google a plus d’informations sur les citoyens que les Etats, ce n’est pas possible! »
Le Big Data, pour un Afrique souveraine
Les chefs d’Etat et ministres présents ont souligné la question cruciale du stockage des données. Dès l’inauguration de la conférence et sans grande surprise, Paul Kagame, président du Rwanda, un des pays moteurs de l’initiative Smart Africa, lancée en 2013 (avec le Kenya, l’Ouganda, le Soudan du Sud, le Mali, le Gabon et le Burkina Faso), insiste lui aussi sur ce point. « Quand je veux me rendre de Kigali à Bamako, je ne passe pas par la Pologne, alors pourquoi mes données devraient-elles le faire ? Ça n’a pas de sens. » Même son de cloche pour la ministre Ursula Owusu Ekuful, qui s’exprime au nom du président ghanéen, Nana Akufo-Addo : « C’est le nouvel or noir des grandes entreprises comme des Etats aujourd’hui. L’enjeu de la collecte, du stockage, de l’accès et de l’utilisation du big data est capital, c’est une question de souveraineté. » Et ce n’est pas le président kenyan, Uhuru Kenyatta, qui coprésidait la cérémonie inaugurale, qui aurait pu les contredire. En 2017, ce dernier s’était rapproché de Cambridge Analytica pendant la campagne pour la présidentielle. L’entreprise britannique s’est rendue célèbre en exploitant les données personnelles de dizaines de millions d’électeurs, notamment pour des campagnes de ciblage favorisant le Brexit et l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis. Face au risque de perte de souveraineté sur les données, une seule solution s’impose : créer des data centers en Afrique. Très enthousiaste, Lacina Koné a fait part d’« avancées significatives » pour le projet de construction du data center continental à Djibouti, aujourd’hui en attente d’investisseurs. Des fonds pourraient bien venir d’Asie, et notamment d’Inde, plutôt que des pays occidentaux.
Le rêve de l’harmonisation législative
L’Afrique a affiché la croissance numérique la plus rapide au monde, avec + 20 % en un an en 20181. Mais si c’est en Afrique que le développement est allé le plus vite, c’est aussi là qu’il coûte le plus cher. En 2017, 1 gigabit (GB) de données Internet a coûté à un Africain 8,8 % de son revenu mensuel moyen, alors qu’il revenait à 3,6 % de celui d’un Sud-Américain, à 1,5 % pour un Asiatique2. Pourtant, la demande explose, avec l’arrivée récente de Smartphone à bas prix, mais les offres des opérateurs ne suivent pas. Pour permettre une baisse du coût des communications, l’interconnectivité entre les pays est la priorité. Lors du sommet, le Mali et la Guinée ont annoncé l’installation de nouveaux câbles transfrontaliers. Mais comme l’a martelé Lacina Koné au fil des panels, « l’Etat ne fait pas, il fait faire, et pour attirer les investisseurs sur le continent, le cadre légal garantissant les bonnes pratiques reste à trouver ». Déjà, en 2014, un premier pas avait été franchi par l’Union africaine avec la convention de Malabo, premier texte continental sur la cybersécurité et la protection des données personnelles, que 11 pays sur 54 avaient signée, et que seulement 4 ont ratifiée à ce jour (Guinée, Maurice, Namibie, Sénégal). Encore une fois, les Etats africains s’étaient tournés (sans se précipiter) vers l’Europe et sa convention de Budapest de 2001, aujourd’hui signée par 8 Etats du continent.
Faire entrer le Nigeria dans le club
Le premier pays du continent, avec ses 140 millions d’internautes, ne fait toujours pas partie de Smart Africa. Lanre Osiga, conseiller du président Buhari sur les TIC, seul officiel nigérian présent à l’événement, a confié « mieux comprendre comment fonctionn[ait] Smart Africa », mais aucune annonce n’a été faite à ce jour sur l’entrée du pays dans l’initiative. Le géant africain semble rester en retrait. Même si les discussions « ont beaucoup avancé », comme le déclare le directeur général de la conférence. En attendant que le Nigeria rejoigne l’initiative panafricaine, un 25e pays a fait son entrée dans Smart Africa : la Sierra Leone.