Le crise sanitaire et économique que nous traversons a mis en lumière l’importance et l’utilité de l’analyse des données de mobilité pour lutter contre le Covid, comme le démontre la multiplication des applications dédiées. Accéder à ces données de géolocalisation, tout en respectant le cadre légal pré- établi, permet de fournir aux gouvernements des informations fiables afin de superviser, modéliser et prédire la propagation de la pandémie. Cela requiert un encadrement politique, juridique et technologique afin d’assurer le respect de la protection des données personnelles et éviter qu’elles ne soient exploitées à des fins commerciales ou politiques ou toute autre fin sans couverture juridique. Les États africains doivent donc s’engager de manière claire et ferme pour concilier la lutte active contre le Covid-19 et la confidentialité des données personnelles .
Double responsabilité des États
Dans un rapport intitulé COVID-19 : les solutions numériques de l’Afrique publié en juillet 2020, la Banque européenne d’investissement reconnaît l’utilité du tracking mobile, tout en préconisant un usage raisonné de ces données personnelles. Cette Institution met l’accent sur le fait que, « les applications pour téléphone peuvent aider à lutter contre la pandémie, mais elles soulèvent également des problèmes de protection de la vie privée et des données. Les mesures numériques utilisées dans le cadre de la pandémie doivent respecter la législation en matière de protection des données et de la vie privée ou être conformes aux pratiques approuvées localement ». De fait, les États ont une double responsabilité vis-à-vis de leurs citoyens : la première, conjoncturelle, consiste à combattre l’épidémie de Covid-19; la seconde, plus structurelle, est liée au besoin permanent de protéger les données personnelles de la population. Outre la Banque européenne d’investissement, certains chercheurs et spécialistes ont également alerté sur les risques que peuvent présenter de telles applications de tracking, à l’instar du Vice-président de l’Internet Society Dawit Bekele.
Les citoyens ne devraient pourtant pas avoir à sacrifier leurs données personnelles pour lutter contre le Covid-19 – ou inversement abandonner la lutte contre le Covid-19 pour protéger leur vie privée : il existe aujourd’hui des outils et des acteurs capables de concilier ces deux objectifs. Ainsi, pour gagner en efficacité tout en rassurant la société civile, les États doivent jouer la carte de la transparence auprès de la population et s’engager de manière concrète dans la protection des données en sécurisant l’écosystème digital de leur pays, à l’exemple du Ghana. En réponse à la pandémie, le Président de la République du Ghana, Monsieur Nana Akufo-Addo a décidé de mettre en place un système de communication d’urgence, qui s’appuie sur la plateforme commune de supervision des revenus téléphoniques. Ce système repose sur l’agrégation des données anonymisées des transactions des réseaux mobiles pour générer des rapports de mobilité. Cela a permis au pays de réaliser une analyse prédictive, d’identifier les mouvements de population parmi les sujets en quarantaine et de suivre la mobilité aux frontières. Avec comme finalité de communiquer les statistiques de propagation du virus aux autorités compétentes afin de les guider dans leurs décisions pour une plus efficaces lutte contre la pandémie.
Une technique éprouvée
Outre l’exemple ghanéen, nombreux sont les États en Afrique et dans le monde entier qui ont adopté des stratégies similaires en déployant des applications de traçage dans le but de freiner la propagation du Covid-19. C’est le cas notamment de la Tunisie, du Maroc, du Botswana, de l’Afrique du Sud ou encore du Togo, qui a mis au point « Togo Safe », une application pour le suivi des voyageurs arrivant dans le pays. Mais le recours aux données de mobilité pour tracer les mouvements des populations à des fins sanitaires n’est pas une nouveauté sur le continent, ce dispositif ayant déjà été employé dans le cadre de la lutte contre le virus Ébola, en 2014. Plusieurs chercheurs avaient alors attiré l’attention sur le potentiel du Big data en matière de suivi et de lutte contre les épidémies. Dans la sous-région, l’application « Ebola Tracker » adossée aux bases de données des autorités sanitaires, avait ainsi été proposée.
En s’appuyant sur les données de géolocalisation qui émanent des réseaux téléphoniques et en mettant en place les outils techniques adéquats pour l’anonymisation des données téléphoniques et la protection des données personnelles des usagers, les États peuvent ainsi suivre la propagation du virus et cartographier les clusters. D’autres méthodes reposent sur des techniques similaires pour tracer les déplacements de la population, notamment à partir des puces présentes dans les cartes bancaires ou dans les cartes de transport en commun, sans pour autant permettre un suivi aussi précis que les données mobiles. Si l’analyse de ces données de mobilité constitue une opportunité unique et irréfutable pour lutter contre le virus, leur protection et leur confidentialité n’en restent pas moins essentielles et devront faire l’objet d’une attention toute particulière des États.
Par Laurent Sarr, Directeur Technique de Global Voice Group.